La productivité justifie-t-elle la distribution des revenus ?

Intuitivement, on peut se dire que oui. Sauf que… Si on prend le temps de la réflexion, plusieurs problèmes émergent.

Le premier problème auquel on pense, c’est qu’il est impossible de déterminer la productivité propre à un travailleur en particulier. Prenons l’exemple de deux entreprises qui produisent le même type de marchandises. Dans l’une il y a régulièrement du ménage qui est fait par des agents d’entretien, dans l’autre on économise là-dessus et les locaux sont immondes. Un même individu travaille à mi-temps  dans la première et la seconde, il est très plausible qu’il  sera plus productif dans la première que dans la seconde alors qu’il doit accomplir exactement les mêmes tâches.  Autre exemple au sein d’une même entreprise cette fois : deux salariés I et J accomplissent le même type de tâches. Pour cela, ils ont besoin que des collègues leur transmettent des documents qu’ils devront analyser. Imaginons que le collègue de I est très désordonné et met du temps à les lui transmettre tandis que celui de J est très efficace. La productivité de I sera plus faible que celle de J et pourtant là encore il n’en est pas responsable.

Toutefois, supposons qu’on arrive quand même à estimer la productivité d’un travailleur particulier au sein d’entreprises qui produisent les mêmes marchandises. Les choses se compliquent lorsqu’il s’agit de comparer entre entreprises produisant des marchandises différentes. La productivité horaire mesurée en monnaie ne dépend plus seulement de la productivité horaire physique (en unités produites) mais également du prix de vente de chaque type de marchandises. On pourrait considérer que si le prix de A est plus élevé que celui de B, cela signifie qu’A procure plus de satisfaction que B, ce qui finalement justifie un revenu plus élevé. Mais cela signifierait  alors qu’il est possible de classer de manière objective la satisfaction des individus. Prenons un exemple : 10 biens A sont vendus  10 000$ pièce à 10  individus, 10 000 biens B sont vendus pour 1$ à 10 000 individus. Peut-on en déduire que la satisfaction de chacun des 10 premiers individus est plus grande que celle des  10 000 autres ?

Par ailleurs, la productivité (mesurée en monnaie) d’un individu au sein d’une même branche (par branche j’entends des producteurs qui vendent les mêmes marchandises) n’est pas indépendante de la productivité de ses concurrents. En effet, prenez I et J qui produisent en 1h respectivement 10 unités et 20 unités, celles-ci se vendent au prix unitaire de 1$ (qui est le prix d’équilibre offre / demande pour simplifier). La productivité (en monnaie) de J est de 20$, celle de J 10$. Imaginez un univers parallèle identique sauf pour la productivité de I, celle-ci devient de 20 unités par heure. Si le prix unitaire reste inchangé, une partie de la production ne sera pas vendue, l’invendu peut être supporté par I ou J, si c’est J sa productivité (en monnaie) diminuera. Or si la quantité de marchandises est élevée, statistiquement, l’invendu se répartira de manière équilibrée entre I et J. Si le prix unitaire baisse de telle manière qu’on retrouve un équilibre offre / demande, la productivité de J aura aussi diminué. Preuve que la productivité (en monnaie) de J n’est pas indépendante de celle de I.

On conclura de cette rapide analyse qu’on ne peut légitiment justifier les écarts de revenus entre travailleurs par des écarts de productivité, étant acté qu’il est impossible d’imputer le niveau de productivité d’un individu à lui seul. On pourrait même aller jusqu’à soutenir que le concept de productivité individuelle est vide de sens.

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