Comme c’était prévisible, la gauche se déchire sur la laïcité. Cette fois-ci, elle se divise à propos de l’interdiction du port du voile pour les accompagnatrices scolaires. 

Alors que des enjeux bien plus importants devraient mobiliser la classe politique (pensez notamment au changement climatique, à la disparition d’espèces animales et plus généralement à l’effondrement de la biodiversité ou même plus prosaïquement la réforme retraites (sujet moins grave que ceux précédents mais toujours plus important que celui du voile)), je ne pensais pas discuter d’un objet aussi frivole qu’un bout de tissu. 

Pourtant cette question du voile disparaîtrait si la gauche se décidait à assumer son passé laïque. Elle préfère adopter une attitude ambiguë, souvent incomprise et même peut-être incompréhensible pour le citoyen lambda, par clientélisme, naïveté, intellectualisme coupé du réel ou au contraire immaturité intellectuelle.

Voici un condensé des arguments avancés par les défenseurs du port du voile, à tous ceux qui le critiquent ou veulent l’interdire dans certains espaces publics. Pour chacun d’entre eux suivra une réfutation.

N° 1. « Le voile est un vêtement comme un autre. »

Etant donné les débats politiques que son port suscite, cet argument tombe rapidement à l’eau. Verrait-on légiférer au parlement sur le port de la chemise, de la cravate ou du soutien-gorge ? J’ajoute que ceux qui utilisent cet argument sont incohérents puisqu’ils traitent leurs adversaires d’islamophobes dès lors que pointe une critique ou une volonté d’interdire partiellement le voile. Un vêtement quelconque n’engendrerait pas ce genre d’attaque. 

N° 2. « Le voile n’est pas un signe religieux. »

Variante de 1., elle a pour objet de contester une interdiction qui serait faite au nom de la neutralité religieuse. Le raisonnement est le suivant : si le voile n’est pas religieux le motif d’interdiction devient caduc et donc l’interdiction n’a plus lieu d’être.

Alors, qu’en est-il ?

Pour se justifier, ceux qui affirment que le port du voile n’est pas prescrit par l’Islam arguent qu’il n’en est fait mention nulle part, que ce soit dans le Coran ou la Sunna. Est-ce vrai ? Je n’en ai aucune idée. Par contre ce dont je suis sûr, c’est qu’une religion ne se réduit pas à ses textes sacrés.  En plus de ceux-ci, le corps d’une religion est constitué par les interprétations, les exégèses, les discours de prédicateurs, les écrits d’islamologues, les règles et pratiques établies par un clergé (formel ou informel).

Prenons, par exemple, le cas Tariq Ramadan, prédicateur et islamologue qui a eu son heure de gloire en France dans les années 2000, notamment (et malheureusement) auprès d’une partie de la gauche altermondialiste. Pour lui, il est clair que le voile islamique (le Hijab) est une obligation religieuse¹ .

Sur le site d’information populaire et controversé oumma.com, là aussi, porter le voile est considéré comme prescription divine².

Quant à l’association proche des Frères Musulmans (organisation islamiste) Havre de Savoir³, elle publie carrément sur son site web (qui apparaît dans les premiers sur les moteurs de recherche lorsqu’on tape islam + port du voile) un texte traduit de l’institut islamique égyptien Dar al-Ifta, dont le titre ne souffre aucune ambiguïté : Réponse à quiconque nierait le caractère obligatoire du « hijab ». Cet article prétend démontrer que le port du voile est une prescription religieuse⁴. 

Il y a également ce sondage IFOP⁵ dans lequel 60 % des femmes interrogées déclarant porter le voile affirment le faire par obligation religieuse. 

Toutefois, la première femme imame française, Kahina Bahloul, s’oppose à l’interprétation qui rend le voile obligatoire. Elle explique que rien, dans le Coran, n’oblige une femme à se couvrir les cheveux, mais pour autant, elle dit clairement qu’aujourd’hui le voile est devenu un symbole de l’islam⁶. 

Tous ces éléments mettent en évidence la dimension religieuse du voile et réfutent donc l’argument n° 2.

N° 3. « Les femmes peuvent porter le voile par coquetterie, effet de mode,  tradition… »

En général, c’est l’argument qui suit, une fois que vous avez réfuté le précédent. Il est emblématique de l’incompréhension des pro-voiles quant aux raisons de son interdiction dans certains espaces publics. En effet, ce qui motive l’interdiction du voile ce ne sont pas les motifs pour lesquels la personne le porte mais la signification qu’il a aux yeux de la société. Pour faire simple : on se fiche de savoir pourquoi une personne porte le voile (cela lui appartient), ce qui compte c’est ce que ce que le voile représente. Or, d’après les éléments précédents, il est légitime de considérer le voile comme signe religieux que celui-ci soit porté pour des raisons religieuses ou non.

N° 4. « Interdire le port du voile c’est s’en prendre aux droits et à la liberté des femmes. »

Rappelons qu’en France le port du voile n’est nullement interdit dans la rue, dans les administrations ou services publics, pour les usagers. Une telle interdiction n’est d’ailleurs pas souhaitable. Dans un régime démocratique, ces espaces communs sont tenus d’être accessibles à tous les citoyens et donc, les conditions d’exclusion doivent être minimales⁷. Notons toutefois que certaines tenues y sont prohibées : se promener en tenue d’Eve ou d’Adam n’est pas toléré, porter un vêtement décoré de svastikas (même si celles-ci sont sénestrogyres⁸) vous exposera à des poursuites pénales, porter indûment un uniforme de policier vous conduira au commissariat. Ces interdictions se justifient par la volonté d’avoir des espaces communs apaisés dans lesquels les risques de conflits violents sont minimisés.

Par contre, les agents publics sont soumis à la neutralité et en conséquent n’ont pas le droit d’exhiber leurs convictions politiques ou religieuses. Cette interdiction ne s’applique donc pas uniquement au voile islamique. Depuis 2004, les élèves des établissements scolaires ont également l’interdiction d’arborer des signes religieux tout simplement parce qu’on considère que l’école n’a pas à être un lieu de conflits qui porteraient atteinte au bon déroulement des apprentissages.

Aujourd’hui se pose la question d’interdire le le port du voile aux accompagnatrices lors des sorties scolaires. La logique voudrait que les règles qui s’appliquent aux enseignants s’appliquent également aux accompagnants. En effet, les accompagnants n’ont pas un rôle passif lors d’une sortie scolaire mais un rôle d’auxiliaire du service public, notamment en matière de sécurité. L’autorité dont dispose l’enseignant va se diffuser, au moins symboliquement, à l’accompagnant auquel les élèves devront obéir. C’est parce qu’il dispose de ce statut que la neutralité devrait s’imposer comme elle s’impose à tout agent du service public (encore plus lorsque celui-ci est dans une position de pouvoir).

La réponse à l’argument n°4 est donc la suivante : si vous considérez qu’imposer la neutralité religieuse aux enseignants et donc leur interdire le port du voile (ou tout autre signe religieux) dans le cadre de leur fonction n’est pas une atteinte à leurs droits et à leur liberté , vous devez en conclure de même pour les accompagnants.

N°5. « Le voile est un symbole d’émancipation des femmes. »

Ceux qui ont l’audace d’user de cet argument expliquent que porter le voile est un acte de rébellion face à l’hypersexualisation actuelle qui dégrade l’image de la femme en la rabaissant à un simple corps-objet de désir sexuel. S’il est vrai que des femmes partagent ce constat quant à la représentation de la femme dans certains segments de notre société, il est regrettable qu’elles pensent s’en écarter en choisissant d’arborer un signe qui, en réalité, la valide.

En effet, ceux qui justifient le port du voile ne le font pas au nom de la liberté des femmes à disposer de leur corps mais en prétendant que cela les protégera des instincts bestiaux des hommes, autres que leur époux. La femme est ainsi réduite à un objet de désir sexuel, exactement comme dans la société qu’ils prétendent dénoncer. J’ajoute que ce discours est très dangereux car il peut servir à justifier les viols au nom de prétendus instincts naturels incontrôlables chez l’homme. Bref, rien d’émancipateur pour les femmes.

---

Voilà résumés et réfutés les principaux arguments des adversaires à toute interdiction ou critique du port du voile. Reste à savoir pourquoi une partie de la gauche s’égare en continuant à les employer. On a l’impression que celle-ci est obsédée par la peur d’être accusée de racisme et qu’en conséquence elle est accommodante avec des discours et des pratiques pourtant contraires à ses valeurs. Se pose alors la question : cette obsession à paraître le plus antiraciste possible n’est-elle pas le signe d’un racisme caché chez ces gens de gauche, un racisme dont ils ont conscience et qu’il craignent de le voir découvert ? Malheureusement, en voulant censurer tout débat sur l’Islam et l’islamisme, en accusant de racisme tout ceux qui émettent la moindre critique à ces sujets, cette partie de la gauche alimente les pires thèses complotistes de l’extrême-droite. Elle devient ainsi l’idiote utile des racistes et des xénophobes. 

---

Notes :

¹  https://www.youtube.com/watch?v=w9tbRfKPdIE 

² https://oumma.com/port-du-voile-a-lecole-pour-une-liberte-de-conscience-definitivement-reconnue-et-respectee/

³ https://www.liberation.fr/checknews/2018/06/12/le-rappeur-medine-est-il-ambassadeur-de-l-association-havre-de-savoir_1658562

⁴ https://www.havredesavoir.fr/reponse-a-quiconque-nierait-le-caractere-obligatoire-du-hijab/

⁵ https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2019/09/116646_Rapport_Ifop_le_Point_FJJ_2019.09.11.pdf

⁶ https://positivr.fr/kahina-bahloul-premiere-imame-de-france-parle-du-voile/

⁷ Pour une typologie des différents espaces lire l’article Espaces communs, espaces collectifs, espaces publics.

⁸ Une svastika sénestrogyre est l’image d’une croix gammée nazie par symétrie axiale.