De l’inutilité d’une réforme des retraites

Le gouvernement macroniste et la majorité LREM ont décidé de modifier notre système de retraites. Est-ce vraiment la priorité alors que depuis quelques semaines plusieurs rapports tirent la sonnette d’alarme à propos d’un sujet hautement plus important : le changement climatique et ses conséquences1. Comparer aux enjeux écologiques, la question des retraites semble bien dérisoire et ce d’autant plus que si la situation de notre système est imparfaite et améliorable, elle est loin d’être catastrophique.

Tout d’abord, la France est le second pays dans lequel le taux de pauvreté des plus de 65 ans est le plus faible (7,8 % en 2017 contre 15 % pour la moyenne de l’UE). C’est donc plutôt une preuve de l’efficacité de notre système de retraites. A titre de comparaison, la Suède qui a adopté un système de retraite dit à points (dont prétend vouloir s’inspirer le gouvernement et la majorité) a un taux de pauvreté de 15,8 % !

Une question suit immédiatement : cette efficacité est-elle durable ? Ou dit autrement, est-ce que notre système de retraites est à l’équilibre et est financièrement soutenable avec le vieillissement de la population ? Regardons les données. En 2019, l’assurance vieillesse devrait connaître un déficit représentant 0,2 % du PIB. En 2040, dans le pire scénario prévu par le Conseil d’Orientation des Retraites (COR), les dépenses de retraites représenteraient 0,3 points de PIB de plus qu’aujourd’hui. Faites le total, pour que notre système de retraite soit équilibré jusqu’en 2040 il faudrait y consacré 0,5 % de PIB de plus. Insurmontable ? Pour vous donner une idée les 20 milliards du CICE que le gouvernement macroniste a transformé en baisse de cotisations sociales patronales représentent le double alors que l’effet sur l’emploi a été quasi nul et ont même eu un effet négatif sur les exportations ! La fraude sociale (aux cotisations et aux prestations) est estimée à plus de 20 milliards elle-aussi. Quant à la fraude fiscale on l’estime au bas mot à 60 milliards, soit 6 fois la somme qu’il faudrait pour avoir un système à l’équilibre. Bien évidemment, récupérer l’argent de la fraude n’est pas aisé, cela demande des investissements aussi bien en personnel qu’en matériel (informatique notamment) mais également de se munir d’une législation plus stricte même si celle-ci s’oppose au sacro-saint dogme de la libre circulation des capitaux. Certains m’accuseront peut-être de tenir un discours « Y a qu’à, faut qu’on » sans propositions concrètes. Je les incite à lire ce rapport qui présente des solutions publiées par des spécialistes du sujet.

Toutefois, imaginons qu’on ne touche pas aux 20 milliards de baisse et d’exonération de cotisations mises en place par le gouvernement d’Emmanuel Macron, qu’on ne compte pas sur la lutte contre la fraude. Pour équilibrer notre système de retraite jusqu’en 2040 sans en changer les règles, il faudrait donc augmenter les prélèvements sur les actifs. Insurmontable ? Prenons un exemple concret : un salarié avec un salaire net mensuel de 2250 € (correspond au salaire net moyen en 2018). Pour équilibrer le système il est décidé d’augmenter les prélèvements sur son salaire (en 2018 les cotisations sociales représentaient 16 points de PIB, il faudrait donc passer à 16,5, soit une augmentation de 3,1%) .  Il faudrait alors qu’il paie 19.22€ de cotisations supplémentaires par mois (son salaire net passerait à 2230,78€) et que son employeur paie 31.96€. Si on fait porter la part patronale au salarié, cela signifie que son salaire net passerait à 2198,82€2. Chacun se fera son opinion sur l’acceptabilité ou non d’une telle mesure mais on conviendra tout de même que cela ne va pas causer un effondrement du niveau de vie du salarié. Et cela d’autant plus que la hausse pourrait être lissée sur 10 ans (grosso modo il perdrait dans le pire du pire scénario 5€ chaque année de salaire net) et que je n’ai pas pris en compte l’augmentation régulière des salaires. 

Le principal argument de ceux qui veulent modifier notre système de retraites repose sur l’allongement de l’espérance de vie. Or celle-ci a tendance à se stabiliser ces dernières années, ou en tout cas ne plus augmenter aussi rapidement que par le passé. Quant à l’espérance de vie en bonne santé, elle aussi au mieux stagne sous les 65 ans pour les femmes et sous les 63 ans pour les hommes. Dans ces conditions et au-delà de la question éthique (est-il juste de forcer des gens dont la santé est dégradée à travailler plus longtemps ? ), vouloir que les individus restent plus longtemps actifs apparaît économiquement contre-productif : augmentation des arrêts maladie, des accidents du travail et donc hausse des dépenses de santé, désorganisation de l’activité au sein de l’entreprise et baisse de la productivité. Comme je l’ai dit plus haut notre système bien qu’imparfait est suffisamment robuste pour éviter cela.

J’aimerais maintenant attirer l’attention sur un fait dont on parle peu : près de la moitié (48,7%) des 55-64 ans n’ont pas d’emploi. Par conséquent, plutôt que de reculer l’âge de retraite, il serait plus logique au contraire de le stabiliser voire même de l’avancer pour certaines professions dites pénibles. Vous me direz cela va augmenter les dépenses sociales. Certes, mais comme je l’ai expliqué dans un précédent article, la redistribution peut être un stimulant de l’activité économique.

Enfin, terminons sur le dernier objectif annoncé de cette réforme : avoir un système plus juste. J’ai rappelé dans un article précédent l’hypocrisie et le manque de crédibilité de cet argument dans la bouche du gouvernement macroniste et de la majorité LREM, je ne reviendrai pas dessus. Selon le gouvernement notre système serait injuste car il disposerait de nombreux régimes dits spéciaux dont les règles seraient différentes du régime obligatoire. Doit-on pour autant en conclure à l’injustice ? Prenons un cas concret : le mode de calcul des retraites différent entre salariés du public et salariés du privé. Dans le secteur public, grosso modo, le montant de la pension est calculé en fonction des 6 derniers mois de salaires, dans le secteur privé la pension de divise en deux grandes parties, celle du régime général calculée sur les 25 meilleures années + la retraite complémentaire obligatoire de l’AGIRC-ARRCO. Deux modes de calcul très différents et pourtant l’enquête du COR fait apparaître un taux de remplacement semblable entre retraités du public et retraités du privé (respectivement 73,9 % et 75,2 % en valeur médiane). L’injustice invoquée par le gouvernement pour justifier la mise en place d’un système universel à points est donc loin d’être évidente.

Compte tenu de ce qui vient d’être dit, une seule conclusion semble s’imposer : le gouvernement macroniste et la majorité LREM poursuivent leur politique néolibérale qui consiste à détruire l’Etat-Providence hérité de l’après-guerre et notamment la protection sociale mutualiste qui le caractérise.


Notes : 

1 Pensez au rapport du GIEC sur l’utilisation de terres face au changement climatique (dévoilé en août) ou celui sur les conséquences du réchauffement climatique sur les océans et sur la cryosphère (octobre) ou encore l’étude du CNRS (sortie en septembre) qui établit que le réchauffement climatique serait plus important que celui estimé par le GIEC. 

2 Pour calculer j’ai utilisé le site https://www.l-expert-comptable.com/calculateurs/simulateur-d-embauche-combien-coute-un-salarie.html 

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