Laïcité et religion : expliquons

Cet article, en grande partie une reprise d’une tribune plus ancienne, m’a paru nécessaire étant donné l’actualité. Il est nécessaire de rappeler certaines évidences pour lutter aussi bien contre l’intégrisme religieux, le discours porté par certains individus se réclamant de gauche mais qui semblent avoir perdu leur boussole et contre une extrême-droite qui en profite pour semer la confusion et déverser son discours raciste.

Mais avant toute chose :

  1. C’est quoi la religion ?

Lorsqu’on emploie le terme « religion », il convient de préciser le sens qu’on lui accorde car malheureusement tout le monde n’en a pas la même conception. J’en distingue au moins trois. Les deux premières forment ce que j’appellerai le(s) sens restreint(s), la troisième correspond à ce que je nomme « sens large ».

1.A. Sens restreint

J’identifie deux manières de concevoir la religion dans ce que j’appelle « le sens restreint ». A mon sens, la première ne peut être partagée que par des individus athées ou déistes. La seconde peut être partagée, en plus des athées et des déistes, par des théistes religieux laïques 1.

1.A.1 La religion comme croyances et pratiques personnelles.

Nous, athées, déistes ou théistes irréligieux, avons tendance à nous méfier de la religion. Nous voudrions que la religion soit cantonnée à la sphère strictement individuelle, privée : chacun croit en ce qu’il veut, adopte les pratiques qui l’enchantent et n’enquiquine pas le monde avec ça et en échange personne ne nous enquiquine sur nos croyances ou non-croyances et nos pratiques. Cela signifie que pour nous la religion est synonyme de croyances et de pratiques personnelles qui ne regardent que chacun de nous. Sauf que…

Bien que moi-même j’aimerais que les religions se restreignent à cela, je dois émettre au moins une critique à cette conception. On envisage ici une croyance et des pratiques individuelles (chacun croit ce qu’il veut, agit comme il l’entend) mais la particularité des religions est justement d’instituer une croyance et des pratiques collectives (tout le monde croit à la même chose et agit d’une manière conforme).

1.A.2 La religion comme outil de tolérance prônée par les textes dits « sacrés ».

Une autre conception restreinte de la religion, partagée aussi bien par certains athées, déistes ou théistes irréligieux, que par des croyants religieux laïques, c’est que tout extrémisme est incompatible avec l’idée de religion. La religion ne peut que prôner la tolérance.

Cependant, cette conception, à mon sens un peu trop angélique de la religion, pose problème. Au nom de quoi devrait-on séparer les actes nobles, moraux, bienfaisants, commis au nom de la religion, des crimes, des actes abjects, commis au nom de cette même religion? Ne serait-ce pas être arbitraire, partial, que de classer les premiers comme actes religieux et les seconds comme actes non-religieux ? En France, nous parlons bien de « guerre de religions » lorsque nous évoquons les atrocités de la saint-Barthélémy.

Ceux qui défendent ce point de vue s’appuient en général sur les textes dits « sacrés » : Torah, Bible, Ancien Testament, Nouveau Testament, Coran, Sunna, etc, dans lesquels il ne serait pas question (selon eux) de tuer. Mais la question qui se pose est la suivante : la religion se résume-t-elle aux seuls textes dits « sacrés » ?

1.B. Sens large

Lorsque je parle de « religion » dans le sens large, je parle d’une croyance et de pratiques collectives, partagées par un certain nombre d’individus (les fidèles). Cela s’oppose donc à la conception du 1.A.1. Je parle aussi de croyance et de pratiques qui trouvent leurs sources, leurs origines, dans des textes particuliers, mais je ne la réduis pas à cela.

La religion, au sens large, ce sont, certes, des textes dits « sacrés » mais ce sont également des interprétations de ces textes. La religion ce sont des pratiques, des règles de vie, de nature diverse : ne pas manger telle viande, porter un voile, ne pas avoir de rapport sexuel avant le mariage, ne pas avoir certaines pratiques sexuelles, etc. La religion ce sont des individus, un « clergé », formel ou informel qui va orienter, volontairement ou non, les comportements, les actions, de ses ouailles.

Dans toute la suite, sauf indication contraire, lorsque j’emploie le terme « religion » je l’entends dans le sens large.

1.B.1 La religion : fondamentalement antidémocratique.

Toute religion repose sur deux piliers : le dogme et la foi. Or ceux-ci sont totalement incompatibles avec l’idéal démocratique et les principes qui l’organisent. La démocratie repose sur la liberté d’opinion, d’expression. C’est tout le contraire du dogme qui se veut incontestable, dont on ne peut, dont on ne doit pas discuter puisqu’il renferme le sacré c’est-à-dire ce qui fonde, ce qui fait exister la religion.

La démocratie repose également sur le débat contradictoire, le dialogue. Or, pour que celui-ci ait lieu, cela suppose d’user de logique, de raisonnement rationnel, en totale opposition avec l’acte de foi qui consiste à croire en une chose sans avoir de preuves de l’existence de cette chose.

1.B.2 La religion : une tendance totalitaire

Certains seront peut-être choqués de lire le terme « totalitaire » lorsqu’on parle de religion, mais il me semble que c’est assez évident lorsqu’on prend quelques exemples issus de diverses religions.

Avant cela je tiens à préciser ce que j’entends par « totalitaire ». Une organisation (ou un régime politique) peut être antidémocratique cela ne signifie pas qu’elle (ou il ) soit totalitaire. Etre antidémocratique cela peut signifier ne pas mettre en place des élections libres, ne pas respecter la liberté d’expression, la liberté de la presse, exercer un contrôle sur les médias, utiliser l’intimidation pour se faire élire ou acheter des voix électorales, etc, la liste n’est pas exhaustive. Etre totalitaire c’est aller encore plus loin, c’est s’introduire dans la vie privée, dans la vie intime des individus et imposer (ou interdire) au sein de celle-ci certains comportements. De cela on en déduit facilement que : totalitaire implique antidémocratique. Mais la réciproque est fausse.

Après cette courte digression reprenons le fil : pourquoi la religion serait-elle totalitaire ? Quels exemples pour le prouver ?

On peut citer la condamnation de l’homosexualité (qu’on trouve chez les trois monothéismes que sont le judaïsme, le christianisme et l’islam), le refus de l’avortement, les interdictions alimentaires, le port du voile. Tous ces exemples montrent bien que la religion, quelle qu’elle soit, a tendance à vouloir non seulement réguler la vie sociale, la vie collective mais également la vie privée, intime des individus. C’est pourquoi je parle de tendance totalitaire.

Là déjà, vous risquez de vous faire incendier par vos amis de gauche, progressiste mais pour qui : « bof la laïcité, c’est pas un sujet primordial », « bof la laïcité c’est « old school »  ». Vous risquez même d’être traité d’intolérant, voire même de raciste (allez savoir pourquoi étant donné que là on parle religion, mais bon…)

  1. Et la Laïcité dans tout ça ?

Etant donné que par essence, toute religion est anti-démocratique et à tendance totalitaire, une société démocratique libérale se doit de circonscrire la religion hors de l’espace public, d’où la nécessité de la laïcité.

Ce qui signifie que contrairement à ce qu’on entend parfois la laïcité ne s’oppose pas à la religion. La laïcité s’oppose à la religion dans l’espace public ou plus justement maintient la religion hors de l’espace public. Mais en aucun cas la laïcité n’empêche quiconque de croire à ce qu’il veut. Elle n’empêche nullement les individus d’obéir à certaines règles prescrites par des textes qu’ils appellent « sacrés » ou par des individus formant une sorte de clergé que ce soit de manière officielle ou officieuse. Elle n’empêche pas non plus les individus partageant les mêmes croyances, respectant les mêmes pratiques imposées, de se réunir dans un lieu dédié à cela. La laïcité n’empêche pas plus la croyance et la pratique religieuse privée qu’elle n’empêche à certains de pratiquer le libertinage, le sado-masochisme ou de se réunir pour pratiquer l’échangisme… La seule condition est que les pratiques ne violent pas certains droits humains (violence, tortures, viols, meurtres par exemple), ce qui signifie que même dans la sphère privé, le public, incarné par la loi, a tout de même un droit de regard. J’irai même jusqu’à dire que c’est le public qui permet l’existence de la sphère privée. Cela se traduit d’ailleurs en matière de laïcité : si la laïcité contient la religion hors de l’espace public, elle protège également les individus quelles que soient leurs croyances et leurs pratiques dans leur sphère privée. La laïcité c’est aussi l’interdiction pour l’État et pour n’importe quelle personne, de menacer, de violenter un individu afin de l’obliger (ou lui interdire) de croire à ce qu’il veut et de pratiquer comme il veut.

Certains diront qu’au nom de la laïcité on peut se moquer des croyances personnelles des individus. Je réponds OUI et heureusement ! Tout comme on peut se moquer, contester les croyances personnelles des individus en matière de politique ! La laïcité c’est justement ne pas considérer que la religion serait au-dessus des lois terrestres, c’est considérer que la religion est une opinion autant respectable, mais pas plus, qu’une opinion politique. Introduire un délit de blasphème, action complètement anti-laïque, ce serait justement introduire un élément religieux dans l’espace public alors que j’ai bien expliqué pourquoi la religion est dangereuse pour la démocratie lorsqu’on l’introduit dans l’espace public.

Conclusion :

La laïcité est un outil qui permet de contenir les tendances totalitaires des religions tout en préservant le droit de chacun à croire en ce qu’il veut, à se réunir et partager sa spiritualité. C’est pour cela qu’elle doit être défendue avec la plus grande vigueur.


Notes :

1  Le déisme est la croyance en un Dieu impersonnel, une sorte de principe, qui régit le Monde. Le théisme est la croyance en un Dieu personnel. Lorsque j’ajoute le terme « irréligieux »c’est pour signifier que tout individu peut croire en un Dieu personnel sans pour autant adhérer à une religion. 

 

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