Des philosophes libéraux ? Vraiment ?

Voici quelques propos de penseurs que l’opinion commune qualifie de « libéraux ». Je vous laisse juge mais pour ma part, je vois tout le contraire de ce qu’on attend d’un libéralisme authentique.

Hugo Grotius, penseur néerlandais du XVIIème siècle :

« il y a des hommes naturellement esclaves, c’est-à-dire nés pour la servitude, de même, il y a des peuples dont le naturel est de savoir mieux obéir que gouverner » ( in Le Droit de la guerre et de la paix )

Justifier la servitude et l’esclavage, est-ce digne d’un libéral ?

John Locke, philosophe britannique du XVIIème siècle, par ailleurs auteur d’une théorie de la connaissance majeure dans l’histoire de la philosophie :

« Si, tous les enfants âgés de plus de trois ans étaient retirés des mains de leurs parents [pauvres], il n’y aurait pas besoin d’allocations pour eux » ( in Draft of a representation containing a scheme of method for the employment of the Poor )

Enlever des enfants à leurs parents pour des motifs pécuniers, est-ce digne d’un libéral ?

Bernard de Mandeville, philosophe néerlando-britannique des XVIIème-XVIIIème siècle :

« Pour rendre la société heureuse, il faut qu’un grand nombre de ses membres soient ignorants, aussi bien que pauvres » ( in Essai sur la charité et les écoles de charité )

Maintenir des individus dans la pauvreté et l’ignorance est-ce bien dans l’esprit du libéralisme ?

« Il faut obliger les pauvres et leurs enfants à aller à l’Église le matin et le soir puisqu’ils n’ont pas d’autres temps pour vaquer à ces sacrés devoirs. […] Si cependant la contrainte que je propose paraissait trop violente et impraticable, il faudra tout au moins pour ces jours-là, interdire sous de rigoureuses peines tous les divertissements, et empêcher que les pauvres n’aillent prendre dehors des plaisirs qui pourraient les séduire […] . » ( in Défense de la fable des abeilles )

Interdire, pas vraiment dans l’esprit libéral…

Benjamin Franklin, homme politique américain du XVIIIème siècle, écrivant à un médecin :

« La moitié des vies que vous sauvez ne sont pas dignes d’être sauvées car elles sont inutiles »( in Writings, lettre à J. Fothergill de 1764 )

Comment un libéral pourrait-il prétendre que des êtres humains ne méritent pas de vivre car soi-disant « inutiles » ?

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Emmanuel-Joseph Sieyès, homme politique français des XVIIIème-XIXème siècle :

« Parmi les malheureux voués aux travaux pénibles, producteurs des jouissances d’autrui et recevant à peine de quoi sustenter leur corps souffrant et plein de besoins, dans cette foule immense d’instruments bipèdes, sans liberté, sans moralité, sans intellectualité, ne possédant que des mains peu gagnantes et une âme absorbée (…). est-ce là ce que vous appelez des hommes ? On les dit policés ! Y-en-a-t-il un seul qui fût capable d’entrer en société ? » ( in Ecrits politiques )

Déshumaniser les individus pauvres, est-ce bien libéral ?

Jeremy Bentham, philosophe britannique des XVIIIème-XIXème siècle :

« [Doit être mis en place] le pouvoir d’appréhender toute personne, qu’elle soit en bonne santé physique ou non, ne disposant d’aucun bien et ne pouvant subvenir à ses besoins de manière honnête, et de la détenir et l’employer jusqu’à ce que quelqu’un lui propose un emploi » ( in Pauper management improved ).

Emprisonnement et travail forcé pour les pauvres, c’est pas vraiment ce qui vient à l’esprit lorsqu’on pense au libéralisme

Alexis de Tocqueville, philosophe et homme politique français :

« Quoique le vaste pays […] fût habité par de nombreuses tribus d’indigènes, on peut dire avec justice qu’à l’époque de la découverte il ne formait encore qu’un désert. Les Indiens l’occupaient mais ne le possédaient pas. […] La Providence, en les plaçant au milieu des richesses du Nouveau-Monde, semblait ne leur avoir donné qu’un court usufruit. Ils n’étaient là, en quelque sorte qu’en attendant. […] ce continent tout entier [apparaissait] comme le berceau encore vide d’une grande nation. » (in De la démocratie en Amérique).

Deux cents ans après Locke, Tocqueville légitime l’appropriation des terres amérindiennes par les colons et ainsi justifie leur extermination et leur déportation dans des réserves…

John Stuart Mill, philosophe du XIXème siècle, dont les travaux en épistémologie influenceront la philosophie des sciences modernes :

« Les lois qui, dans un grand nombre de pays du continent, défendent le mariage, à moins que les parties ne prouvent qu’elles peuvent entretenir une famille, n’outrepassent pas les pouvoirs légitimes de l’État » ( in De la liberté ).

Même J. S. Mill qu’on présente comme appartenant au socialisme libéral approuve l’intervention de l’État dans la vie privée et même intime des individus !

Herbert Spencer, philosophe britannique du XIXème siècle :

« S[i] [les individus] ne sont vraiment pas capables de se suffire à eux-mêmes, ils meurent et il est juste qu’ils meurent » ( in Social Statics )

« le commandement « si quelqu’un ne veut pas travailler, il ne doit pas manger »,est simplement l’énoncé chrétien de cette loi de la nature, […] d’après laquelle une créature qui n’est pas assez énergique pour se suffire, doit périr; la seule différence étant que la loi qui, dans un cas, doit être imposée par la force est, dans l’autre cas, une nécessité naturelle. » ( in L’Individu contre l’État )

Qui osera prétendre que quelqu’un qui trouve juste que des individus meurent uniquement parce qu’ils sont pauvres est libéral ?

Ludwig von Mises, économiste austro-américain du XXème siècle :

« on ne peut nier que le fascisme et les mouvements similaires cherchant à mettre en place des dictatures sont remplis des meilleures intentions et que leur intervention a, pour l’instant, sauvé la civilisation européenne. Le mérite qui en revient au fascisme demeurera éternellement dans l’histoire » ( in Liberalismus, première édition )

Faire l’éloge du fascisme dans un livre qui a la prétention d’expliquer et défendre le libéralisme, il fallait l’oser…

Murray Rothbard, philosophe et économiste américain du Xxème siècle :

« Dans la société libertarienne, où toutes les rues seraient privées, le conflit se résorberait sans atteinte aux Droits de propriété de qui que ce soit : ce sont les propriétaires des rues qui auraient le Droit de choisir qui y aura accès et ils pourraient par conséquent empêcher à leur gré la venue des “ indésirables”. » ( in L’Ethique de la Liberté )

Restreindre voire supprimer la liberté de circulation et même la possibilité pour des SDF de s’installer dans un lieu ( ce qui veut dire qu’ils deviennent quoi, on les met en prison? ), est-ce bien libéral ?

Quand on découvre ces citations on comprend pourquoi une partie du camp progressiste se dit « antilibéral ». En effet, si être libéral signifie partager les idées qui ressortent des propos précédents, ce n’est pas vraiment compatible avec le projet d’émancipation des individus. Toutefois, on peut inverser ce point de vue et considérer que la doxa se méprend lorsqu’elle nous présente ces philosophes et hommes politiques comme d’éminents représentants du libéralisme.


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